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Des claquettes à l’acrobatie : les délices chorégraphiques de Rachid Ouramdane

Thomas Hahn 3 décembre 2019
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Möbius, Cie XY/Rachid Ouramdane © Pascale Cholette

Rachid Ouramdane vient de créer, en même temps, un doublé de solos et une grande fresque pour une compagnie de cirque : dans Variation(s), il révèle deux danseurs d’exception. Dans Möbius, il donne des ailes à un ensemble acrobatique de premier plan. À l’écoute des uns et des autres, il les amène vers des horizons nouveaux et créé des moments chorégraphiques d’exception.

À Grenoble, Rachid Ouramdane partage la direction du Centre Chorégraphique National avec un autre grand artiste de la scène, à savoir : Yoann Bourgeois. Chacun travaille de son côté. Et pourtant. Si Ouramdane signe aujourd’hui sa première pièce pour une troupe circassienne, on est tenté de se dire que la proximité de Yoann Bourgeois, ce grand chercheur en matière de cirque, a peut-être encouragé l’artiste explorateur qu’est Ouramdane à chorégraphier pour des acrobates. Mais cette fresque se situe en même temps à l’opposé des études très épurées de Bourgeois. Epure qu’on retrouve chez Ouramdane dans Variation(s), deux solos réunis dans un intense dialogue danse-musique, conçu sur mesure pour deux interprètes très spéciaux : Ruben Sanchez et Annie Hanauer.

Ruben Sanchez dans Variation(s)

Rachid Ouramdane aime mettre en scène des personnalités hors du commun, les éclairant dans des solos qui peuvent faire partie d’une pièce de groupe ou de duos. Pour Variation(s), créé à Bonlieu, la scène nationale d’Annecy, Ouramdane a choisi la forme de deux solos qui se succèdent. D’abord Sanchez, danseur de claquettes de renommée mondiale. Il se prête ici à un exercice qui aurait tout pour déstabiliser un artiste spécialisé dans une discipline aussi fortement définie dans sa forme. Heureusement, il n’en est pas à sa première collaboration avec Ouramdane.

La tap dance surprise par son interprète

Cette relation de confiance est la condition pour réussir un solo où les claquettes sortent de leurs habitudes. Un rectangle noir est posé au sol, cachant quelques microphones qui captent et modulent le son des frappes de pied. Et Sanchez élargit considérablement la gamme sonore de la tap dance. Il y a des frôlements, des frottements, de petites frappes coquines et des coups de talon rebelles. Le corps aussi devient un instrument, sous les mains du danseur en personne. Sanchez peut évoquer un danseur, créer des équilibres improbables ou frapper le sol de ses mains…

L’esprit free jazz de cette danse sied bien à la partition du compositeur Jean-Baptiste Julien, très jazzy elle aussi, où la basse peut rappeler John Coltrane. Le danseur, lui, devient batteur, dans une fusion qui lui laisse la liberté de s’amuser du répertoire standard de la tap dance, de tordre les rythmiques jusqu’au burlesque. On songe aussi à Israel Galván, grand révolutionnaire du flamenco. Comme lui, Sanchez casse les codes du genre et passe d’une danse codée à la liberté d’un langage qui exprime attirances, inquiétudes, mystères, ambitions… Et donc à un art dramatique à part entière qui crée le suspense et permet à l’interprète de parler de lui-même.

Annia Hanauer : comment saisir la beauté ?

Après avoir frappé un grand coup, Sanchez passe le relais à Annie Hanauer, qui continue sur la même lancée musicale, mais avec son âme de poétesse du mouvement. Sensible, légère, mélodique. Ouramdane fait donc parler un contraste maximal. Et pourtant la danseuse participe d’une même énergie musicale, surfant sur l’univers sonore créé conjointement par la musique enregistrée et le live de Sanchez en tant que percussionniste chorégraphique. Hanauer crée, à partir de son corps, une voix et une voie singulièrement poétique, qui démontre que la beauté n’est pas une affaire de conventions.

Annie Hanauer dans Variation(s)

La particularité d’Annie Hanauer est de dessiner ses gestes avec un bras de chair et un bras de substitution, bras avec lequel elle fait tout dans la vie. Entre autres, danser. Pour Rachid Ouramdane, elle était l’une des protagonistes du duo Tordre, un succès mondial. Dans Variation(s), elle suit Ruben Sanchez dans l’articulation entre moments intimistes et élans cinétiques inimitables. Et elle transforme sa particularité, qu’on soupçonne entravante, en catalyseur artistique. Chacune des ses apparitions scéniques crée un trouble, une aspiration cosmique. Le sens profond de la beauté est peut-être là, dans la création d’un ailleurs traversant le monde qui nous semble familier.

Après les solos, dix-neuf acrobates !

On décrit parfois Rachid Ouramdane comme un grand portraitiste chorégraphique. Mais il fait bien plus que révéler ses interprètes à un endroit précis, à un moment de leurs vies. Il sait au contraire les embarquer dans un voyage, pour les amener ailleurs, sur de nouvelles pistes artistiques. D’où leur belle sincérité, quand ils partagent avec nous leurs découvertes d’eux-mêmes. C’est vrai en danse, pour les individus. Mais aussi quand Ouramdane travaille avec de grands ensembles. Il l’a prouvé, formidablement, avec Franchir la nuit, une fresque chorégraphique et visuelle pour danseurs professionnels et jeunes réfugiés. On retrouve ces mouvements d’ensemble et leur urgence vitale dans Möbius, pièce magistrale pour les dix-neuf acrobates de la Cie XY, créé au cirque-théâtre d’Elbeuf.

En une série de tableaux plus grands que l’humain (grand cinéma donc), voilà le groupe, le collectif, l’essaim et l’individu, présents pour partager avec nous leurs émotions, leurs rêves, leurs angoisses : douceur des roulades collectives, rebondissements par petits groupes, construction de pyramides humaines, chutes subites d’une personne seule, face au groupe… Des chaînes de corps se déploient comme en apesanteur et ce spectacle ne cesse de se retourner, sans jamais perdre le fil, la fluidité, le flow… Comme le fameux ruban de Möbius, justement : énigme et émerveillement permanents, comme le corps d’un.e acrobate sait se transformer en permanence, tout en restant le même. Ouramdane jongle avec le langage du cirque, langage fait de pyramides et d’envols. Il joue avec nos peurs et l’envie de se laisser emporter par une douce rêverie. Il porte les acrobates vers l’aérien, mais leur fait aussi découvrir le sol comme partenaire et agrès. Un vrai festin émotionnel et visuel.

Möbius est la production circassienne principale de la saison 19/20 et le calendrier des tournées s’étend d’ores et déjà jusqu’en novembre/décembre 2020 quand la pièce sera à la Grande Halle de La Villette. Près de Paris, on pourra le voir en mars à l’Opéra de Massy et en avril au Théâtre des Gémeaux, à Sceaux. À moins qu’on préfère le voir à l’Île de la Réunion, à Séville ou à Sarrebruck (Allemagne)… Si une telle production avec une telle tournée – sur vingt-neuf villes ! – est possible, c’est que le soutien d’une fondation très engagée joue ici un rôle important. Il s’agit de la Fondation BNP Paribas qui soutient la danse et les arts du cirque avec amour et enthousiasme. Mention spéciale pour leur engagement en faveur du spectacle vivant !

Thomas Hahn

 


Variation(s) avec Ruben Sanchez, suivi d’Annie Hanauer

En tournée
2019

5 décembre : Le Lux, Valence
11 au 13 décembre : MC2, Grenoble

2020

2 avril : Les Bains Douches, Montbéliard
23 au 27 juin : Théâtre des Abbesses, Paris


Möbius avec Abdeliazide Senhadji, Airelle Caen, Alejo Bianchi, Arnau Povedano, Andres Somoza, Antoine Thirion, Belar San Vincente, Florian Sontowski, Gwendal Beylier, Hamza Benlabied, Löric Fouchereau, Maélie Palomo, Mikis Matsakis, Oded Avinathan, Paula Wittib, Peter Freeman, Seppe Van Looveren, Tuk Frederiksen et Yamil Falvella

En tournée
2019

25-26 nov. : Le Moulin du Roc, Niort
28-29 nov. : Le Carré – Les Colonnes, Saint-Médard-en-Jalles
5-6 déc. : Tandem, Douai
10-11 déc. : La Coursive, La Rochelle

2020

16-17 jan : Bonlieu, Annecy
21-24 jan : MC2, Grenoble
31 jan – 1 fév : La Criée, Théâtre national de Marseille
4-8 fév : Maison de la Danse, Lyon
12-15 fév : TEAT-Champ Fleuri, La Réunion
28-29 fév : Teatro Central, Séville
6-7 mars : Cirque Jules Verne, Amiens
10 mars : Opera de Massy
12-13 mars : Le Manège, Maubeuge
21-22 mars : La Brèche, Cherbourg
24-26 mars : Le Bateau Feu, Dunkerque
28-29 mars : Le Volcan, Le Havre
2-3 avril : Le Carré magique, Lannion
7-10 avril : Maison de la Culture de Bourges
5-7 mai : Les Gémeaux, Sceaux
12-15 mai : Espace des arts, Chalon-sur-Saône
26-27 mai : Théâtre de Compiègne
4-6 juin : Festival Perspective, Sarrebrück (All.)
12-13 juin : Festival Furies, Châlons en Champagne
12 nov-6 déc : EPPGHV-La Villette, Paris

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